Carnets (1914-1917)

Né à Bordeaux le 15 juillet 1886, Jacques Rivière, fils d´un professeur à la Faculté de médecine, a la douleur de perdre sa mère en 1897 ; il entre l´année suivante en 6e au lycée Montaigne. Après son baccalauréat, il est envoyé au lycée Lakanal de Sceaux pour préparer le concours d´entrée à l´Ecole normale supérieure. C´est là qu´il rencontre un fils d´instituteurs berrichons nommé Henri Fournier - le futur Alain-Fournier - et se lie d´amitié avec lui ; ils découvrent en même temps à Paris les merveilles de la vie artistique et littéraire de leur époque. A partir de l´été 1905, étant revenu à Bordeaux, Jacques entretient avec Henri une correspondance presque quotidienne, où l´on voit se forger peu à peu leurs goûts et leurs ambitions littéraires. En octobre 1907, Jacques revient à Paris préparer l´agrégation de philosophie à la Sorbonne ; il rédige en même temps un mémoire d´études supérieures sur la théodicée de Fénelon, qui sera publié l´année suivante dans les Annales de philosophie chrétienne. Il correspond également avec Paul Claudel et fait paraître une brillante étude sur "le poète chrétien". Le 24 août 1908, il épouse Isabelle Fournier, la jeune soeur de son ami Henri. A la fin de 1908, il fait la connaissance d´André Gide, qui vient de fonder La Nouvelle Revue Française ; il lui propose son Introduction à une métaphysique du rêve qui sera publiée dans le numéro de novembre 1909. A partir de février 1910, il collabore régulièrement à La NRF, en écrivant de nombreux articles sur des musiciens et des peintres, articles qu´il rassemblera en 1911 dans ses Etudes. Devenu secrétaire de La NRF, il y fait paraître, en 1912, divers essais De la sincérité envers soi-même et De la foi, puis en 1913, Le Roman d´aventure et Le Sacre du Printemps et, à la veille de la guerre, sa première version de Rimbaud. Mobilisé le 3 août 1914, le sergent Rivière gagne le front de Lorraine avec son régiment. Dès le 25 août, à l´issue d´un combat très dur, il est fait prisonnier et emmené par les Allemands au camp de KoenigsbrŸck en Saxe. Il occupe ses loisirs forcés en préparant et en donnant des conférences à ses camarades de captivité, dont les notes seront rassemblées et publiées après sa mort par sa femme Isabelle sous le titre A la trace de Dieu ; il rédige également ses Carnets publiés en 1974. En juin 1917, le délabrement de sa santé lui vaut d´être transféré en Suisse, puis rapatrié un an plus tard ; il ne sera toutefois démobilisé qu´en mars 1919, après avoir accueilli à Toulouse d´autres prisonniers rapatriés. Jacques Rivière qui vient de publier L´Allemand, souvenirs d´un prisonnier de guerre, pense depuis deux ans à la relance de La Nouvelle Revue Française dont la parution avait cessé durant la guerre ; il est pressenti par Gide pour en prendre la direction, malgré l´opposition de plusieurs des fondateurs. Le 1er juin 1919, La NRF reparaît avec un éditorial-manifeste du nouveau directeur, qui suscitera bientôt une vive controverse avec les écrivains maurassiens du "Parti de l´Intelligence". Dès lors, il se consacre à son travail d´éditeur, rassemblant autour de lui les plus grands noms de son temps : outre Claudel et Gide acquis depuis longtemps à la revue, Marcel Proust, François Mauriac, Paul Valéry, Saint-John Perse, Jean Giraudoux, Jules Romains. "L´homme de barre" de La NRF va jusqu´à lui sacrifier son oeuvre propre, ne publiant en 1922 qu´un court roman psychologique Aimée. Il se fait également, dans une série d´articles donnés à un quotidien luxembourgeois, le chantre d´une réconcilation franco-allemande et le prophète d´une conscience européenne. Sa mort prématurée, le 15 février 1925, donne lieu à un numéro spécial deLa NRF où soixante-quinze écrivains français et étrangers lui apportent le plus vibrant hommage.